Une autre politique climatique peut-elle sauver l’Europe ? La croissance va-t-elle revenir ? Un nouveau mouvement politique peut-il remplacer un PS en effondrement moral ? Rencontre avec Pierre Larrouturou, après José Bové, Corinne Lepage, et Jean-Luc Mélenchon. Extraits.

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Reporterre – Comment interprétez-vous le désamour des Français à l’égard de l’Europe ?

Pierre Larrouturou – Pendant trente ans, l’Europe était un espace de coopération et de justice sociale. Et puis il y a eu un tournant, qu’on a appelé la révolution néo-libérale les débuts des années 1980. Depuis trente ans, au lieu d’avoir une coopération et une justice sociale, la concurrence a été érigée comme un dogme fondamental au-dessus de tout le reste. Cela amène une précarité terrible, à la violence sociale, à la violence contre la planète. L’Europe n’est plus fidèle aux valeurs des pères fondateurs.

En quoi est-elle différente de la conception originelle ?

La première volonté était de mettre le charbon et l’acier en dehors des mains des capitalistes et de faire une union politique en commençant par des choses concrètes. il y avait des règles sur le charbon et l’acier, sur le salaire minimum, sur le fonctionnement économique. Et quand un pays dévaluait sa monnaie, il y avait un montant compensatoire agricole qui évitait qu’il y ait un avantage compétitif lié à cette dévaluation. Aujourd’hui, le traité transatlantique dont François Hollande veut accélérer la négociation est le contraire des valeurs de ceux qui ont créé l’Union européenne.

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En même temps ils restent tous accrochés à l’idée de croissance. La presse économique affirme que l’activité est en train de repartir.

C’est de la pensée magique ! Les derniers chiffres donnent 0,1 % de croissance aux Etats Unis au premier trimestre. En Allemagne la croissance du PIB par tête a été de zéro. Au Japon, malgré un déficit de 10 % du PIB, le premier ministre japonais reconnaît qu’on est en train de retomber à un rythme de croissance de l’ordre de 1 %. Ils font un déficit de 10 % du PIB. Est-ce qu’on peut soigner une gueule de bois avec un double whisky ? S’il faut un déficit de 10 % du PIB pour avoir une croissance de l’ordre de 1 %…

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Que proposez-vous pour échapper à cette évolution de pourrissement ?

Il faut dire que la question du climat est fondamentale. On a mis mille milliards sur la table pour sauver les banques. La question du climat n’est-elle pas aussi fondamentale ? On pourrait mettre mille milliards sur la table : pendant vingt ans, chaque pays aurait un droit de tirage de 1 % du PIB sur cette somme à taux zéro – pour la France, ce serait vingt milliards d’euros par an pour financer la transition.

On consacrerait l’essentiel à des travaux d’isolation. On a des fuites énergétiques partout, dans tous nos bâtiments, nos domiciles, nos bâtiments publics. Est ce qu’on est capable de faire un effort considérable pour isoler les bâtiments ? Tout le monde sait que c’est rentable. Une étude de la Commission européenne estime qu’on peut économiser entre 800 et 1 000 euros par ménage chaque année.

On pourrait sortir de notre indépendance au gaz et au pétrole. Le dernier rapport du GIEC est angoissant : les scenarios dont on avait peur pour 2100, on se demande maintenant comment les éviter en 2030. La France est engagée pour diviser par quatre la production de gaz à effet de serre. Il faut mettre le paquet et se dire qu’on a vingt milliards au minimum.

On peut avoir un accord sur ce plan avec Angela Merkel. Elle a les mêmes problèmes que nous pour financer sa transition énergétique. Les esprits évoluent en Allemagne sur les questions de la création monétaire. Les Allemands sont hostiles aux euros bonds. Et je les comprends : une création monétaire qui ne servirait que les financiers serait stupide, mais si la création monétaire permet de créer des emplois pour économiser l’énergie et faire baisser les factures d’énergies, on peut avoir un accord. On prend un an pour négocier et on a pendant vingt ans du boulot pour tout le monde, et peu à peu nos productions de gaz à effet de serre diminuent.

Je rappelle que les banquiers font tout pour que les questions de création monétaire paraissent compliquées. Mais depuis dix ans, ce qui a été créé par ou pour les banques privées, c’est 2 628 milliards d’euros de création monétaire ! On peut financer la transition énergétique avec cela.

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Pourquoi ne travaillez-vous pas avec Europe Ecologie les Verts ?

Le programme EELV dit, « si le citoyen met un euro, l’Europe mettra un euro ». C’est très sympa mais si les citoyens ne mettent que cent euros, il n’y aura que deux cents euros. Est-ce à la hauteur ? Non.

Quand j’étais à Europe Ecologie, on m’avait dit que les deux mamelles de l’écologie politique, c’était sortir du nucléaire et de changer de politique énergétique, d’une part, et d’autre part de passer à la semaine de quatre jours pour sortir du chômage et vivre autrement. Dans l’accord signé avec le PS, la question du temps de travail a disparu. Or cela est une question fondamentale. Si le Medef veut ringardiser la question du temps de travail, c’est que le partage actuel profite aux actionnaires ! La question de renégocier la question du temps de travail, tout au long de la vie, est un enjeu fondamental, tant du point de vue anthropologique qu’en ce qui concerne la lutte contre le chômage et le partage de la valeur ajoutée.

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