Gérard Aschieri 
Ancien secrétaire général de la FSU

Depuis des années les gouvernements successifs ont réaffirmé l’objectif de 50% d’une classe d’âge obtenant un diplôme de l’enseignement supérieur, affichant ainsi une ambition supérieure à celle retenue par l’union européenne. L’enjeu est en effet tout autant de répondre aux besoins croissants en main d’œuvre qualifiée, de lutter contre le chômage que de contribuer à une meilleure formation générale des individus et à une citoyenneté active et responsable dans un monde confronté à des défis complexes.

Or après une croissance spectaculaire des effectifs de bacheliers et d’étudiants, notre pays, qui a rattrapé un retard historique en ce domaine, semble bloqué autour de 42 %.  Et dans ce contexte les inégalités loin de s’atténuer se sont accrues.  Et d’abord des inégalités sociales. Elles ne sont pas seules : les inégalités liées au genre, aux territoires, au handicap s’y ajoutent et s’articulent entre elles. Mais elles jouent un rôle déterminant.

Certes il est indéniable que le développement de l’accès aux études supérieures est venu atténuer les très fortes inégalités sociales qui existaient autrefois. Toutefois, les différences entre milieux sociaux sont restées très marquées. Au point qu’une étude d’Eurostudent[1] montre que la France est avec l’Espagne un des pays où les inégalités sociales dans l’accès à l’enseignement supérieur sont les plus fortes en Europe.

Mais de surcroît elles se sont déplacées de façon insidieuse. Alors que par le passé la sélection sociale se faisait essentiellement entre ceux qui accédaient au baccalauréat et ceux qui dès le collège, étaient orientés vers une formation courte, elle intervient désormais au sein même du groupe des bacheliers qui n’ont ni les mêmes possibilités d’accès à l’enseignement supérieur ni les mêmes possibilités de choix entre les filières d’études ni, bien sûr , les mêmes chances de succès.

De fait la scolarité antérieure détermine grandement le choix des jeunes entre les diverses voies et spécialités mais aussi leur réussite.  Dans un espace  de l’enseignement supérieur complexe et hiérarchisé, les futurs étudiants adaptent plus ou moins consciemment leurs choix à ce qui leur apparaît possible en fonction de leur parcours scolaire. A l’inverse, les modalités de sélection dans les filières sélectives accordent une place déterminante au type de baccalauréat et au parcours scolaire, renforçant ainsi les phénomènes. Et la corrélation de ces phénomènes avec l’origine sociale apparaît évidente dès qu’on l’examine: la distribution des origines socioprofessionnelles dans les différents types de baccalauréat est en effet très déséquilibrée.

Quant à la réussite il n’est qu’à constater que parmi ceux qui ont fait le choix de l’université, 90 % des bacheliers professionnels, 75 % des bacheliers technologiques et 35 % des bacheliers généraux n’obtiennent pas la licence. Mais on retrouve la même hiérarchie en IUT et STS, simplement avec des écarts moins importants,

Cette situation est bien sûr à mettre en relation avec une des caractéristiques de l’enseignement supérieur français: Universités, CPGE, écoles diverses, IUT, STS..constituent un paysage de l’enseignement supérieur extrêmement divers et touffu. Cette diversité est intéressante en ce qu’elle est ou pourrait être de nature à permettre à chacun de trouver la voie de réussite qui lui convient. Mais le problème est qu’au lieu d’une utile complémentarité s’est développée une concurrence et une hiérarchisation implicite des voies, accompagnées d’inégalités criantes de financements, qui rendent difficile une bonne orientation et concentrent l’échec dans certaines filières et sur certains jeunes.

Et c’est en particulier au sein de l’université que le problème est le plus lourd, non pas qu’elle fonctionne moins bien que les autres voies de formation mais parce qu’elle accueille la masse des bacheliers en poursuite d’études

Or plusieurs facteurs se cumulent qui expliquent cette situation.

Dès que l’on regarde les données disponibles, on ne peut que constater combien est prégnante la fragilité économique et la précarité de la masse des étudiants. Cela conduit  notamment au développement du travail étudiant. Certes exercer une activité salariée n’est pas nécessairement incompatible avec la poursuite d’études mais au delà d’un certain nombre d’heures ce travail concurrence souvent celle-ci. Les conséquences de cette fragilité économique sont doubles: non seulement la difficulté accrue de poursuivre des études mais aussi la limitation des ambitions en  la matière.

Mais l’on ne peut pas se contenter de cette explication.

En effet un des défis majeurs de notre enseignement supérieur est celui d’assurer la réussite non seulement des étudiants issus des formations et des catégories sociales qui l’alimentent traditionnellement, mais aussi d’un public nouveau qui va sans doute, proportionnellement croître.

Ce public  vient de filières différentes des séries générales qui traditionnellement avaient pour vocation d’alimenter les diverses formations supérieures longues et dont les enseignements étaient conçus dans cette perspective. Mais ces étudiants sont aussi « nouveaux » au sens où ils correspondent souvent à la première génération qui, dans leur famille, accède à l’enseignement supérieur. Ils constituent un public bien plus hétérogène que par le passé en termes aussi bien de capital social, culturel ou économique qu’en termes de passé et d’acquis scolaires. Or les modalités de prise en charge des bacheliers n’ont que peu varié dans l’ensemble de l’enseignement supérieur et ne sont, en tout cas, pas à la hauteur du défi lié à la diversité actuelle des publics.

Dans ce cadre la différence la plus visible entre l’université et les autres voies de formation réside sans doute dans la prise en charge des étudiants, avec ce paradoxe que ce sont les étudiants les plus sélectionnés, essentiellement ceux de CPGE, qui connaissent le moins de rupture avec les pratiques scolaires qu’ils ont connues au lycée et bénéficient de l’encadrement le plus complet, du suivi le plus attentif et du travail prescrit le plus important.

Cette situation est évidemment à mettre en relation avec les moyens attribués aux divers types de formations. Environ 15000 euros par étudiant en CPGE, environ 10000 en université (en incluant les IUT, beaucoup moins pour les formations générales et notamment les lettres et sciences humaines)[2] :  même si ces moyennes recouvrent des réalités diverses, cela ne peut pas être sans effet.

Elle est aussi en relation avec les objectifs implicitement assignés aux universités par les politiques menées ces dernières années, par la répartition des moyens et par les évaluations auxquelles les établissements et leurs personnels sont soumis. En effet tout dans le système va dans un sens, privilégier la recherche et plus précisément la recherche porteuse en termes de débouchés, de prestige, de moyens. La difficulté de trouver une équilibre entre les diverses missions de l’université s’est sans doute traduite par le sacrifice plus ou moins explicite de l’enjeu de la démocratisation et de la réussite en premier cycle. Pourtant il existe une multitude d’initiatives qu’il faudrait évaluer mais manque une reconnaissance institutionnelle, une impulsion centrale qui donne une direction, affecte des moyens fléchés, vérifie leur utilisation, assure une pérennité et une égalité de l’effort.

Ces constats suggèrent les orientations à prendre pour inverser cette situation.

Avec une idée force : iI n’y a aura pas amélioration de la réussite sans démocratisation, c’est à dire sans améliorer l’accès et la réussite  des jeunes issus de milieux populaires et de baccalauréats qui à l’origine n’étaient pas tournés vers l’enseignement supérieur. Quant à l’assignation a priori de certains à des types particuliers de formation -avec l’argument que tel ou tel n’est pas fait pour des études théoriques par exemple- elle ne ferait que reproduire les inégalités sociales déjà criantes.

Dans cette perspective il est sans aucun doute impératif de donner une priorité à l’Université, qui est et doit continuer à être le lieu qui reçoit la masse des étudiants sans barrière préalable et qui leur propose une formation en lien avec la recherche. Priorité en termes de financement mais pas seulement. Elle doit être mise en mesure d’accueillir et faire réussir tous les étudiants quelle que soit leur origine :  améliorer l’encadrement et l’accueil des étudiants dès la première année, développer le tutorat, la lisibilité des formations, leur dimension professionnelle, introduire une formation pédagogique des enseignants-chercheurs…cela nécessite  de trouver un autre équilibre entre recherche et enseignement.

En même temps il est indispensable de substituer la complémentarité et la coopération à la concurrence entre les voies de formations et les établissements. Et dans ce cadre faire jouer tout leur rôle aux STS et IUT dans l’accueil et la réussite des bacheliers technologiques et professionnels sans pour autant en faire une exclusivité.

Un troisième axe réside dans la nécessité de mesures d’urgence en faveur des étudiants et d’abord une augmentation des bourses et allocations, complétées par le développement d’emplois compatibles avec la poursuite d’études. À cet égard la question d’une allocation d’autonomie pour les jeunes reste posée.

Enfin il importe d’améliorer la nécessaire articulation entre le lycée et l’enseignement supérieur, singulièrement l’université. Cela implique un mouvement des deux côtés pour mieux s’informer, se connaître mutuellement et donner un peu plus de cohérence en termes de contenus de formation et de méthodes de travail. Cela implique également d’améliorer l’orientation. Il s’agit dans un processus construit progressivement de permettre à chacun de choisir au mieux en étant bien informé et conseillé, en trouvant son chemin dans le maquis de formations, en dépassant les déterminismes  et les phénomènes  d’autocensure qui pèsent sur les choix faute d’information, faute de connaissance des codes ou de prise de distance avec les représentations.

Réduire les inégalités dans l’enseignement supérieur est un enjeu d’importance tant celle-ci sont lourdes de conséquences. On n’y parviendra sans doute pas par une recette miracle mais en agissant de façon convergente sur un certain nombre de leviers et en évaluant régulièrement les effets produits. Mais il ne faut sans doute pas attendre pour engager en ce domaine une politique volontariste, suivie et cohérente.



[1]   Source : Feras Bleghith et Ronan Vourch, Eurostudent IV : une comparaison européeenne des conditions de vie des étudiants, OVE Infos, nov 2011 p.4

[2]     Un graphique faisant apparaitre l’évolution de ces chiffres  est publié chaque année par le MESR dans « L’état de l’Enseignement Supérieur et la de la Recherche en France,45 indicateurs » mais les modifications  des règles comptables introduites en 2006 pr la LOLF (Loi d’orientation sur les Lois de Finance) rendent désormais impossible de distinguer au sein des universités les dépenses par type de formation et notamment de distinguer les dépenses des IUT. La globalisation des financements mise en place par la Loi Liberté de Responsabilité des Universités n’a fait que renforcer cette opacité