Le fondateur de Nouvelle Donne défend avec ferveur des idées pour transformer l’Europe et la France, quitte à égratigner toutes les autres forces de gauche. Paris Match l’a rencontré.

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Interviewer Pierre Larrouturou est une expérience. Cet ancien socialiste de 49 ans nous a donné rendez-vous dans un café à Paris près du QG de Nouvelle Donne, le parti qu’il a fondé en novembre 2013. Lorsqu’on s’assoit en face de lui, il ouvre un grand cahier à carreaux sur deux pages vierges. «Bon, allons-y», lance l’économiste avec son accent du Sud-Ouest, comme impatient. Pierre Larrouturou ne répond pas simplement aux questions, il démontre. Le ton est chaleureux, le débit rapide. Il griffonne des chiffres et des schémas qui accompagnent sa réflexion et, lorsqu’il veut appuyer son propos, il tire d’une chemise cartonnée un document ou un graphique.

De fait, la rhétorique de Pierre Larrouturou est parfaitement bien rodée. Auteur d’ouvrages avec Michel Rocard ou Stéphane Hessel, figure du Collectif Roosevelt qui avait voulu secouer le débat présidentiel en 2012, l’homme alimente le débat à gauche depuis 20 ans. Pourfendeur des 35 heures de Martine Aubry, il défendait la semaine de quatre jours. Il reste aujourd’hui convaincu que la question du partage du temps de travail est centrale.

Pour l’heure, Nouvelle Donne est largement devancé par les formations politiques traditionnelles : dans notre enquête en continu Eurorolling Paris Match-Ifop-Fiducial-Sud Radio, les listes du parti obtiennent 1,5% d’intentions de vote. Pierre Larrouturou n’est pourtant pas inquiet : tête de liste en Île-de-France, il sent la dynamique le porter et veut croire que les électeurs donneront à Nouvelle Donne quelques députés européens au soir du 25 mai.

Paris Match. Dans votre programme européen, vous affirmez qu’il est possible de changer radicalement l’Europe en quelques années à peine. Comment?
Pierre Larrouturou. Il y a eu une révolution libérale dans les années 1980; Margaret Thatcher a changé l’Europe en trois ans en tapant du poing sur la table. Nous disons : en un an ou deux ans, faisons l’inverse. Nous disons qu’on ne peut pas y arriver à 28. Il faut redémarrer à 6, à 9 ou à 11… Vous avez vu, il y a 11 pays qui ont lancé la taxe Tobin. Les Anglais sont furieux, mais c’est la preuve qu’on peut y arriver.

En quoi est-ce différent de «l’Europe à plusieurs vitesses» voulue par François Hollande?
Hollande n’a rien fait depuis deux ans! Il y a pourtant des choses qui bougent, regardez madame Merkel qui a signé pour une taxe Tobin, puis pour un salaire minimum. Et au moment même où la droite allemande dit qu’il faut faire plus de justice sociale, François Hollande préconise une politique de l’offre. C’est une erreur tragique.”PAS QUESTION DE CRÉER DES EMPLOIS PRÉCAIRES POUR RÉSORBER LE CHÔMAGE”

Ce noyau dur devrait notamment s’accorder selon vous sur un «traité social». A quoi servirait-il?
C’est important pour lutter contre le dumping et les délocalisations. Si on avait eu un traité social, les centaines de personnes licenciées dans l’agroalimentaire en Bretagne ces derniers mois n’aurait pas perdu leurs emplois. Ce que nous disons, c’est qu’il faut un traité de convergence sociale avec des critères stricts : moins de 5% de chômage et moins de 5% de pauvreté. Pas question de créer des emplois précaires pour résorber le chômage, comme en Allemagne, où il y a quatre fois plus de petits boulots qu’en France. Certains vous disent que c’est mieux que d’être chômage. Mais est-ce qu’on a le choix entre la peste et le choléra? Non! On n’a jamais été aussi riches dans tous nos pays, on n’est pas obligé de choisir, on peut faire beaucoup mieux.

Vous refusez toute sortie de l’euro, mais vous souhaitez changer son fonctionnement. N’est-ce pas impossible sans bouleverser les traités?
Nous disons qu’il faut mettre la monnaie au service des peuples. On pourrait éviter l’austérité si la banque centrale pouvait financer les pays au même niveau que les banques. Quand les banques ont eu besoin de 1000 milliards, elles ont emprunté quasimment gratuitement. Sans changer les traités, on pourrait se financer à 1%, par exemple si la Banque centrale européenne prêtait à la Banque européenne d’investissement, qui prêterait à son tour aux Etats.

Vous préconisez la création d’une monnaie complémentaire, l’euro-franc. Pour quoi faire?
Il ne s’agit pas de casser l’euro. Cette idée s’inspire des monnaies mises en place par plusieurs villes. A Bayonne par exemple, vous pouvez payer avec des «euskos» chez certains commerçants (il brandit alors quelques «euskos», ndlr). Il n’est pas possible d’augmenter les salaires sans traité de convergence sociale. Par contre, on peut créer une monnaie complémentaire, dont la valeur serait : un euro égale un euro-franc. Cela fonctionnerait un peu comme les Tickets restaurant. Chaque adulte aurait 150 euros-francs pour la consommation quotidienne. Cela ferait du pouvoir d’achat en plus. Nous sommes en train de réfléchir aux produits qui pourraient être concernés. Par exemple, des produits importés de pays qui ne respectent pas les droits sociaux ne pourraient pas être achetés avec ça.

Vous êtes radicalement opposé à la négociation sur le traité transatlantique avec les Etats-Unis. Ne faut-il pas discuter avec la première puissance mondiale?
Si, évidemment! On propose notamment un G20 extraordinaire. Il ne s’agit pas de dire qu’on va déclarer la guerre aux Etats-Unis. Mais il est choquant que la négociation de ce traité se fasse en petit comité. Ce qu’on sait pour le moment du contenu est dangereux : une entreprise pourrait attaquer un Etat devant un tribunal spécial, par exemple pour avoir imposé un salaire minimum. Enfin, la dérégulation ne va pas créer d’emplois. Quand j’étais à Sciences Po, il fallait mettre dans toutes les copies que le grand marché au 31 décembre 1992 allait booster la croissance. Pas de chance, 1993 a été la seule année de récession avant la crise de 2008.

“1000 MILLIARDS SUR 20 ANS POUR LUTTER CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE”

Vous proposez un énorme emprunt de 1000 milliards d’euros au niveau européen pour combattre le réchauffement climatique. N’est-ce pas dangereux alors que les dettes publiques sont déjà gigantesques?
On a mis 1000 milliards pour sauver les banques, ça n’a pas créé d’inflation. On va faire pareil, avec un pacte pendant 20 ans, où chaque pays aurait un droit de tirage. La France pourrait par exemple emprunter chaque année 20 milliards à taux zéro pour financer des travaux d’isolation. Tout le monde comprend maintenant la gravité du problème du réchauffement climatique, mais la question est de savoir comment on finance. On voit bien que l’écotaxe, c’est mort.

Vous n’évoquez pas le système des eurobonds, qui permettrait de mutualiser la dette européenne. Pourquoi?
Je comprends très bien que les Allemands ne veuillent pas des eurobonds. C’est comme si vous arriviez dans un restaurant où il y a 40 personnes, on dit que chacun prend ce qu’il veut à la carte, on partage l’addition et s’il y en a un qui a oublié sa carte bleue, c’est à vous de payer. C’est cool, mais il faut se faire confiance… Avec notre système, chaque pays aura le même droit de tirage.

Dans votre livre «La grande trahison»*, vous racontez plusieurs rencontres avec des ministres ou des conseillers de l’exécutif qui, assurez-vous, partagent vos constats et vos solutions. Pourquoi la politique menée ne le reflète-t-elle pas?
Je pense qu’il y a un manque de courage terrifiant. Il y a un manque de débat. Les municipales ont été un choc politique. Après ça, on pourrait se dire qu’on prend une semaine pour réfléchir… Là, pas une heure. On continue. On avait mis 20 milliards d’exonéraitons, on va en mettre 30. Einstein disait que la définition de la folie, c’est de faire toujours la même chose en espérant des résultats différents.

Vous avez un discours très dur envers le Parti socialiste. Qu’est-ce qui vous distingue du Front de gauche, qui veut mener une «opposition de gauche»?
Il y a bien sûr des choses qui convergent, mais la question est de savoir comment on fait. Une partie de la gauche court après le Medef, comme quand le PS dit qu’on va faire 30 milliards d’exonérations sans contreparties. Une autre partie, autour de Jean-Luc Mélenchon, dit que l’économie, ce n’est pas très important et qu’il faut «mettre du conflit partout». Nous, nous avons retenu de Stéphane Hessel qu’il fallait toujours de la fraternité et une façon calme et tranquille de parler. Nous sommes en désaccord radical avec ce que fait Manuel Valls, tout comme nous l’étions avec Jean-Marc Ayrault, mais je suis allé quand même plusieurs fois à Matignon et nous nous parlons comme deux amis. La société est déjà assez violente, est-ce le rôle du politique de mettre du conflit partout? Non.

Et les écologistes? Vous avez été un temps membre d’Europe Ecologie – Les Verts, ils ne suivent pas à la trace la ligne gouvernementale : vous auriez pu les retrouver.
Si la France est dans cet état, c’est que le programme mis en place est le fruit d’un accord électoral entre Cécicle Duflot et Martine Aubry. On voit bien que ça ne marche pas. De plus, les Verts sont assez flous. Sur la question du financement de la lutte contre le changement climatique, ils sont flous. Quand les écolos disent, à chaque fois qu’il y aura un euro mis par les citoyens, on mettra un euro de bruxelles, c’est très sympa, mais ce n’est pas du tout à la hauteur.

Si vous obtenez des élus au Parlement européen, qui soutiendrez-vous pour la présidence de la Commission européenne?
Il n’y a aucun accord pour le moment. Ce n’est que le 14 juillet que le parlement commence à travailler. Il  y aura six semaines de négociations. Trois groupes nous disent qu’on serait les bienvenus. On va dire quels sont nos objectifs et chaque semaine, nous ferons un bilan et tous nos adhérents pourront savoir où on en est des négociations. On sera transparent. Et il y aura un vote de tous les adhérents, vers le 10 juillet, sur le choix du groupe.

*«La grande trahison» de Pierre Larrouturou, éd. Flammarion, 15 euros, à paraître le 8 mai

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