Article reproduit avec l’autorisation du journal Le Monde

Alain Godard, PDG démissionnaire d’Aventis CropScience – « Je m’interroge sur les dangers de la seule logique financière dans la conduite des entreprises ».

Aventis a confirmé, mardi 10 juillet, être entré en négociation avec Bayer pour la cession de sa division agrochimique CropScience. Le PDG démissionnaire de cette entreprise, Alain Godard, s’inquiète de ce choix, dans un entretien au Monde. Selon lui, l’opération répond plus à une logique financière qu’à un projet industriel. Il prédit qu’il ne restera plus bientôt que trois ou quatre grands groupes mondiaux.

AVENTIS a confirmé, mardi 10 juillet, avoir retenu l’allemand Bayer comme candidat unique pour la reprise de sa division agrochimique CropScience ( Le Monde du 10 juillet). La cession est « l’option la plus créatrice de valeur » et Bayer « le partenaire le plus prometteur, autant d’un point de vue financier que social », indique le groupe pharmaceutique franco-allemand. Dans un entretien au Monde, Alain Godard, PDG démissionnaire de CropScience, en mai, sort de son silence.

« Quelle est votre réaction à l’annonce de la cession probable de CropScience ?

– Ce scénario est celui que je craignais. Je n’y étais pas favorable et c’est dans la perspective qu’il devienne réalité que j’avais donné ma démission. Je pense qu’une nouvelle restructuration n’est pas souhaitable pour les salariés de l’entreprise. Aller, ainsi, de fusion en fusion n’est pas raisonnable. Je travaillais, pour ma part, sur des projets d’introduction en Bourse ou un rachat de l’entreprise par ses salariés (LMBO). Je ne connais pas le contenu de l’accord d’Aventis et de Bayer, et notamment les garanties obtenues d’un point de vue social, mais je pense que le prix est supérieur aux options que je défendais. Aventis va certainement faire une meilleure affaire.

– Vous craignez les conséquences sociales d’une cession ?

– Je n’avais pas envie de gérer, de communiquer et d’emmener mes troupes sur cette voie-là. Dans le cas d’une introduction en Bourse, nous aurions dû procéder, également, à une fusion dans les trois ans, étant donné les perspectives du marché agrochimique mondial. Mais c’eût été un vrai projet industriel. Nous aurions choisi nos partenaires et gardé la main.

– Quelle est votre vision du marché agrochimique ? Les organismes génétiquement modifiés (OGM), parce qu’ils n’ont pas apporté le relais de croissance espéré, ont-ils freiné le développement du secteur ?

– Il ne restera plus que trois ou quatre gros opérateurs en agrochimie, avec les deux géants que sont Syngenta et Bayer-CropScience. Les grands groupes vont avoir la capacité d’innover, à condition que leur taille ne nuise pas à leur flexibilité, à leur réactivité et à la prise en compte du client, toutes ces choses qui me tiennent à coeur. Il leur faudra des managers très proches du terrain. Quant aux OGM, je n’ai jamais cru à leur capacité de transformer, d’un coup de baguette magique, le marché agrochimique en poule aux oeufs d’or. En tant que dirigeant d’Aventis CropScience, j’ai souvent freiné l’engouement de nos collègues allemands pour les OGM. Nous avons pu empêcher de grosses acquisitions dans les semences, et je crois que nous avons bien fait. A long terme, les OGM seront un complément des pesticides, sur lesquels il reste beaucoup à faire.

– Vous êtes désormais passé de l’autre côté de la barrière pour devenir agriculteur. C’est un clin d’oeil à ceux qui ne croient plus dans l’avenir de l’agriculture ?

– A cinquante-cinq ans, j’ai repris une exploitation en Provence. J’exploite 18 hectares d’oliveraies et 25 hectares de vignes. Devenu agriculteur, je constate que beaucoup de progrès doivent être faits en matière d’environnement. Dans le sud de la France, on voit encore des emballages vides de produits phytosanitaires qui traînent en bout de champ. Je voudrais que notre ferme, à Orgon (Bouches-du-Rhône), devienne une ferme pilote en matière d’environnement, de traçabilité et de qualité des produits.

– Après avoir passé trente ans dans l’agrochimie, n’êtes-vous pas amer ?

– Je suis triste, mais pas amer. J’ai pris acte qu’il y avait un environnement économique et politique que je ne pouvais pas changer. Je m’interroge sur les dangers de la seule logique financière dans la conduite des entreprises. Mais j’ai vécu trente ans dans cette industrie, et les dix dernières années ont été passionnantes. ».

Par PROPOS RECUEILLIS PAR VERONIQUE LORELLE. 
Publié le 11 juillet 2001