Entretien

Pierre Larrouturou a lancé en France le parti Nouvelle Donne à la suite du Collectif Roosevelt 2012 sur le constat qu’aucun parti traditionnel ne suivait leurs idées. Revendiquant un droit au bonheur, à une société équilibrée et conviviale, Nouvelle Donne place la question de la réduction du temps de travail comme l’un des principaux leviers pour changer la vie. Rencontre avec le promoteur de la semaine de 4 jours.

Quelle est votre analyse de la question du temps de travail actuel ?

Selon nous, le partage du temps de travail actuel dans tous les pays d’Europe est un non-sens. On dit que la France est passée à 35 heures mais c’est faux. Certes, la durée légale est à 35 h, mais la durée réelle (c’est-à-dire avec les heures sup déclarées) est revenue à 39,6 h d’après l’INSEE. On a d’un côté ceux qui travaillent plein pot, qui sont donc toujours à 39-40 h et d’un autre côté, ceux qui sont au chômage et qui travaillent 0 h ! Les seuls qui en profitent sont les actionnaires. Quand il y a autant de chômeurs et de gens en petits boulots de 10-15h/ semaines, ça crée une pression qui fait que les salariés ont la trouille, personne ne peut demander d’augmentation de salaire. Dans tous les pays d’Europe, la part qui va au salaire par rapport à celle qui va aux bénéfices diminue chaque année. Ça représente des sommes considérables qui devraient aller aux salariés, aux caisses de sécu, aux caisses de pensions, et qui vont dans la poche des actionnaires. On a vu les chiffres l’an dernier : + 30 % pour les dividendes alors que la croissance réelle est à 0,0 % ! Le partage actuel du travail est binaire, il est fait par le marché, il est stupide.

Que préconisez-vous aujourd’hui ?

On pense que d’un point de vue humain, d’un point de vue social, d’un point de vue économique et d’un point de vue anthropologique il faudrait aller vers un autre partage du travail et reprendre le mouvement historique de baisse du temps de travail. En un siècle, on a divisé par deux le temps de travail. Quoi qu’en dise Sarkozy, le sens de l’Histoire, ce n’est pas de « travailler plus pour gagner plus ». Dans tous nos pays, on est passé d’une semaine de 7 jours de travail à 6 jours. Puis de 6 à 5. On a donné les congés payés. En gros, on travaille tous deux fois moins qu’il y a un siècle et on gagne cinq fois plus ! Le sens de l’Histoire c’est ça : travailler beaucoup moins pour avoir du temps pour vivre et gagner bien de quoi vivre. Le sens de l’Histoire s’appelle l’intelligence humaine, le progrès social, la productivité bien partagée. Pourquoi ne pourrait-on pas reprendre ce mouvement ?

Depuis 30 ans et dans tous les secteurs, on a fait des gains de productivité colossaux avec les ordinateurs et les robots. Et c’est scandaleux de voir qu’on n’est pas capable de faire évoluer le contrat social et que du coup, cette productivité, au lieu de profiter à tout le monde, débouche sur une catastrophe sociale : des millions de chômeurs et de précaires dans tous les pays d’Europe et les seuls qui se goinfrent sont les actionnaires. C’est humainement dramatique et ça nous plante économiquement. La croissance retombe dans tous les pays car ce qui va à Mr ou Mme tout le monde est trop faible alors que ce qui va aux actionnaires et aux paradis fiscaux est beaucoup trop important. À un tel niveau d’inégalité, ce n’est pas juste un problème social ou anthropologique, ça devient même un problème économique.

Dans quelle mesure, un passage à une semaine de 4 jours changerait la situation économique et sociale actuelle ?

En France, la bonne nouvelle, c’est qu’on avait fait passer la Loi de Robien en 1996. 400 entreprises sont passées à la semaine de 4 jours avec le financement qu’on propose de généraliser. Par exemple les yaourts Mamie Nova. Leur usine produit 6 jours / semaine. Ils ont embauché 130 personnes. 130 personnes retrouvent un boulot, le yaourt est toujours aussi bon qu’avant et il ne coûte pas un centime plus cher. En fait, quand l’entreprise passe à la semaine de 4 jours, elle arrête de payer les cotisations chômage à condition de créer 10 % d’emploi. C’est comme ça que les coûts n’augmentent pas, que la production reste rentable et qu’on n’a pas besoin de baisser les salaires.

La question du temps de travail est fondamentale. Ce n’est pas le seul levier mais c’est sans doute le levier le plus puissant pour réduire le chômage et transformer nos modes de vie. Une étude du Ministère du Travail indique que si toutes les entreprises passaient à 4 jours / semaines on créerait 1,6 million d’emplois en France. En terme de volume d’emploi, c’est colossal. En terme anthropologique, d’accès à la culture, la question est fondamentale. En terme de rapport au travail, ce qui est intéressant, c’est qu’il y a un jour par semaine où le chef n’est pas là. Or, il faut quand même répondre au client et faire le boulot. Ça veut dire qu’on doit mettre en place une formation pour enrichir le travail afin que les ouvriers puissent faire le boulot eux-mêmes si le chef n’est pas là. Et du coup, dans beaucoup d’entreprises, le travail est plus intéressant et on constate une baisse de l’absentéisme.

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