Chère Marianne,
Madame Polony,

Dans un éditorial du 21 octobre 2021, vous avez soulevé une question centrale, celle du partage du temps de travail, en évoquant quelques-uns des arguments qui peuvent y être opposés. Bien plus que la seule question du temps libre, ce partage est un véritable choix de société qui, par un effet domino, touche un éventail de domaines socio-économiques. Le débat est ouvert : Nouvelle Donne, qui défend la semaine de 4 jours en 32 heures maximum et travaille sur ce sujet depuis des années, se propose donc de participer à ce débat et l’alimenter de quelques arguments.

Commençons par les 35 heures. Vous êtes contre ? Nous pensons qu’elles ont en partie raté leur cible parce que la 2ème loi Aubry a trop cédé à la frange la plus frileuse du MEDEF. « La plupart des analyses officielles, reprise par le rapport Romagnan, indiquent qu’entre 350 000 et 500 000 emplois ont été créés 1 ». Ce n’est pas négligeable. Mais ce fut insuffisant : il est regrettable que la 2ème loi Aubry ait renoncé à conditionner la diminution du temps de travail et les exonérations liées à l’obligation de créer des emplois.
Vous craignez que la réduction du temps de travail revienne à rejeter l’effort et à dénigrer la « valeur travail ». Pour nous, au contraire, il s’agit précisément de créer un nouveau monde du travail plus apaisé, en le partageant mieux, entre ceux qui aujourd’hui travaillent trop et ceux qui galèrent en fin de mois. Son objectif premier, essentiel, est bien la création massive d’emplois. Loin de prétendre dégoûter du travail, la semaine de 4 jours à 32 h maximum permettra, selon nos calculs et sur la base des 17000 salariés dans 400 entreprises l’ayant déjà expérimentée, de créer un million et demi d’emplois directs. Dans une société où les coûts directs et indirects du chômage de masse dépassent les 100 milliards d’euros par an, chacun comprend aisément qu’il est urgent de sortir d’une logique où les externalités négatives de la concurrence libérale sont supportées par l’effort public.

Le chômage de masse est un fléau qui nous touche depuis un demi-siècle. Si nous n’en sortons pas, nous connaîtrons dans la prochaine décennie la troisième génération de suite à en souffrir. Dans l’histoire moderne du capitalisme, cela n’est jamais arrivé.
Et, humainement parlant, ce chômage a aussi un coût : 14 000 morts supplémentaires par an. L’équivalent d’un impact démographique du Covid-19 (2020) tous les 7 ans ! Qui rappellera que quand le taux de chômage augmente de 10 %, le taux de suicide augmente de 1,5 % ? Ne faut-il pas aussi, dans cette lugubre litanie, souligner que la mortalité infantile est plus élevée quand la mère est au chômage ?
Sortir du chômage de masse est donc une obligation morale, économique, politique. Quoi qu’il en coûte ? Oui. Mais bonne nouvelle : le chômage coûtant plus cher que l’emploi, il n’est donc pas si difficile de renverser la vapeur. Un plan sur la comète ? Non, même pas. Car l’expérience a déjà été tentée, avec la loi Robien en 1996, inspirée par Pierre Larrouturou. Des centaines d’entreprises sont passées à 4 jours à 32 h par semaine. Des milliers d’emplois ont été créés. Sans surcoût pour les entreprises. Sans baisse de salaires (sauf, parfois, très légèrement, pour les plus élevés). Et avec une augmentation de la productivité. Car proposer aux salariés de travailler moins, c’est augmenter leur motivation, c’est réduire les absences pour cause de maladie ou d’accidents. Demandez à l’entreprise LDLC2 : ils n’ont pas eu besoin qu’on réduise leurs cotisations pour équilibrer les comptes. Bien entendu, pour d’autres entreprises qui ne connaîtraient pas le même boom du carnet de commandes que LDLC, il faudra des mesures incitatives. C’est pour cette raison qu’il faudrait, a minima, réinstaurer la loi Robien pour multiplier les expérimentations.

Dans une société où le temps de travail est déjà partagé (entre ceux qui ne trouvent pas d’emplois et ceux qui travaillent souvent trop – 39 h en moyenne pour les temps complets), les millions de chômeurs forment toujours « l’armée de réserve du capitalisme » (Marx) pour faire pression à la baisse sur les salaires. Et ce n’est pas qu’une théorie marxiste. C’est une réalité qui se confirme dans tous les pays industrialisés depuis 40 ans : la part des salaires dans la richesse produite ne fait que baisser depuis 4 décennies. À l’heure où les sondages placent les « pouvoir d’achat » en tête des préoccupations des Français, la semaine de 4 jours à 32 heures maximum est aussi la réponse la plus efficace pour en finir avec le fléau des travailleurs pauvres.
On est donc loin d’un refus du travail. Seulement nous n’oublions pas que tous les travailleurs ne sont pas employés à des travaux épanouissants (loin de là d’ailleurs : ne tombons pas dans le piège qui consisterait à débattre du travail entre intellectuels, qui aiment leur travail, mais qui seraient déconnectés des souffrances de millions de travailleurs) ; que leur offrir une journée de repos supplémentaire est une reconnaissance que le travail peut aussi être pénible, répétitif, usant. La libération de temps pour des activités autres, culturelles ou sportives, parfois du travail encore, mais si peu reconnu comme tel (éducation, accompagnement des personnes dépendantes, engagements bénévoles associatifs…) n’est pas un rejet de l’effort. Elle est la reconnaissance par la société des autres aspects de la vie.
Un dernier argument, et non des moindres : une société qui sort du chômage de masse est une société qui a plus de cotisants pour les caisses de solidarité. Plus besoin de réduire les dépenses de santé, plus besoin de prétendre reculer encore l’âge de la retraite quand le chômage aura drastiquement baissé…

La liste des avantages serait encore longue. La campagne pour les élections présidentielle et législatives de 2022 ne fait que commencer. Nous aurons donc le temps de les exposer et de poursuivre le débat.

Croyez, chère Marianne, Madame Polony, en l’assurance de notre profond respect pour la liberté des débats auxquels vous contribuez et en la constante énergie de nos adhérents pour défendre leurs idées.

Cyril Mouquet, co-référent de la Commission thématique Partage du temps de travail & Revenu citoyen