Pourquoi la gauche sera au second tour 

 

Par Anne Hessel

 

Nos convictions climatiques, sociales, démocratiques sont plus fortes de jour en jour et partagées par tout le peuple de gauche. Elles apparaissent dans tous les programmes, des grands comme des petits partis, des associations comme des mouvements citoyens. Alors ? Que se passe-t-il ?

 

Les grandes structures des partis politiques historiques ne fonctionnent plus : les citoyens veulent prendre la parole, et de nouvelles manières de « faire de la politique » sont apparues. Des archipels se sont construits, donnant à chacun un accès à la parole bienveillante, dans le respect de l’identité de chacun, et remplaçant le discours vertical par l’élaboration sur des projets. Constitués des « petits partis », des associations, des citoyens engagés, profondément persuadés de la nécessité d’un grand rassemblement social et écologique pour sortir d’un système qui conduit au pillage de la planète, à la misère sociale, et à la guerre.

 

La Primaire Populaire est apparue, mouvement citoyen porté par une jeunesse inquiète ayant le sentiment de l’urgence, mais appuyée sur ces archipels et associations portés par des « anciens ». La première étape de l’émergence de ce mouvement a consisté à mettre, autour d’une table, des représentants des différents partis de l’arc des justices (justice sociale, justice écologique, justice démocratique) pour réaliser le socle commun de leurs programmes. Il apparaissait que les propositions sont proches, et que beaucoup des divergences sont liées à des postures ou des malentendus. Il s’agissait de reprendre la main, et de remplacer les combats de « chefs à plume » par des engagements citoyens. Et la seule voie qui s’ouvrait était celle du rassemblement.

 

Il s’est avéré que notre jeunesse veut de l’efficacité citoyenne. Cette volonté d’efficacité s’est traduite par des outils de mobilisation inhabituels et enthousiasmants (grande clarté des objectifs, exigence de bonne culture économique et politique, pratique de la mobilisation « pote à pote », utilisation des réseaux sociaux, etc). Tout d’un coup émergeait une forme d’engagement joyeux, intergénérationnel, respectueux, incroyablement efficace avec une mobilisation citoyenne de grande ampleur. Le changement de société, la démocratie retrouvée, le climat régulé, l’équité sociale, une nouvelle république… tout apparaissait possible. Possible à condition d’une victoire électorale. Nous étions convaincus de la nécessité d’un rassemblement de toutes les structures existantes derrière un seul porte-parole présidentiable. Sur le fond, sur les propositions, beaucoup de convergence. Mais les « chefs à plume » n’ont pas voulu remettre leurs plumes en jeu, et n’ont pas souhaité participer à la Primaire Populaire. Dès lors les combats de coqs étaient inévitables, et sur leurs différences les candidats ont beaucoup critiqué leurs partenaires, parfois plus encore que leurs véritables opposants. Le rassemblement cessait d’être une perspective présidentielle.

 

S’il est clair que les grandes lignes politiques sont du ressort du président, tous nos présidents potentiels de gauche sont d’accord sur l’essentiel :

 

sur l’urgence climatique, sociale, démocratique ;

 

sur la nécessité de redonner au parlement un rôle institutionnel fondamental ;

 

sur la revalorisation des rôles des syndicats et des associations ;

 

sur la nécessité de donner des ressources au pouvoir citoyen (telle que le RIC).

 

Il est donc nécessaire de permettre à un gouvernement de travailler.

 

Donc d’avoir des représentants actifs au parlement. Sûrement pas le Parlement que les sondages nous annoncent, avec de rares députés véritablement contestataires, répartis en plusieurs tout petits groupes (socialiste, écologiste, insoumis, communiste).

 

Non, nous pouvons, nous devons avoir des candidatures uniques aux élections législatives, des candidats porte-paroles de l’ensemble de ces partis de l’arc des justices. Les choix des candidats devraient être locaux, avec une concertation rendue obligatoire par une volonté nationale. Ces choix locaux permettent un renouvellement des candidatures, un intérêt accru pour la pratique politique, et probablement de donner une place plus importante aux jeunes, aux femmes et aux minorités. Le grand obstacle réside dans le mode de financement public des partis politiques (au nombre de voix obtenues lors des élections législatives), qui pousse les partis à présenter un maximum de candidats. Il sera donc indispensable, avant de changer la loi, d’établir un projet de financement entre les partis partenaires. C’est possible par le biais d’une association de financement, en se référant aux résultats électoraux antérieurs par exemple.

 

Nous pouvons avoir ce Parlement qui jouerait pleinement son rôle d’obstacle et de force de propositions, et se poserait ainsi en socle et en point d’appui d’un mouvement populaire ayant enfin devant lui une perspective.

 

Et comment mobiliser les électeurs ?

 

Après ce premier tour d’élection présidentielle qui se sera déroulé sans véritable débat, une fenêtre politique passionnante s’ouvre dans l’entre-deux-tours :

 

  • soit nous avons un 2e tour, annoncé, Macron-Le Pen et nous pouvons déjà prévoir la teneur de débats qui risquent d’être plus sécuritaires que jamais ;
  • soit nous avons un 2ème tour Macron-Mélenchon…

Alors, même si, comme il est probable, Macron sort victorieux, nous aurons eu quinze jours de débats, fortement médiatisés, où une parole de gauche, une parole écologique, un engagement démocratique, un projet gouvernemental auront été portés. Et ça change tout : retrouver, publiquement, une force de conviction, un projet, un souffle, à cette échelle de débat présidentiel, voilà qui pourrait pousser les citoyens de l’arc des justices à retrouver le chemin de la victoire collective. Une victoire parlementaire sur un projet commun de gouvernement. Et l’appel à voter Mélenchon n’est plus seulement un appel au vote utile, cela devient un appel au vote susceptible de commencer à reconstruire une gauche de gouvernement.

 

Tout est encore possible : l’union populaire peut entraîner un essor citoyen formidable.

 

Il est encore temps, maintenant !

 

Voilà pourquoi la gauche sera au second tour.

 

Anne Hessel

Co-présidente d’honneur de Nouvelle Donne

Membre de l’Archipel de l’Écologie et des Solidarités (pour Nouvelle Donne)

Co-auteur de « Finance, climat, réveillez-vous »